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Salif Keita, le griot engagé

©️Bertrand Guay_AFP
Une carrière prolifique, une cause qui lui colle à la peau, leader d’opinion sans concession, le lyriste mandingue est l’archétype d’une résilience assumée.

C’est une figure emblématique et iconique de la culture africaine en non des moindres. Ambassadeur s’il en ai de la musique mandingue dont il est l’un des plus illustres à l’international. Sa voix suave et mélancolique nous invite à ces soirées initiatiques aux feux de bois sur les bords du fleuve Niger, là où les crocodiles et les hippopotames se bercent de ces mélodies qui renvoient à la nostalgie des glorieux empires africains. Djoliba est l’appellation en malinké de ce fleuve mythique. Il désigne aussi le nom d’une petite contrée à 38 kilomètres de la capitale Bamako. C’est dans cette bourgade que naquit le 25 août 1949 ce descendant de la ligne directe du fondateur de l’empire précolonial du Mali Soundiata Keita. Une venue au monde ponctuée par un mauvais présage selon des croyances ancestrales. Salif est différent, il a une pigmentation étrange qu’on connaît trop peu dans ces villages où les marabouts, ces diseurs de bonne aventure jouissent d’une crédibilité messianique. Il est albinos, de mauvais augure donc sujet à un ostracisme dont même la position de sa caste ne peut l’extirper. Un destin voué à l’exclusion et au mépris du fait de sa pilosité.

Jeune, il s’éprend et trouve refuge dans le chant lyrique traditionnel. Le petit Keita déclame avec dextérité ces mélodies parlées qui psalmodient la noblesse des valeurs humaines. L’enfant est doué, il a trouvé sa voix, sa voie.  Seulement quand on est issu d’une descendance distinguée comme la sienne, le griotisme est proscrit. Devenir saltimbanque est un crime de lèse majesté. Un double rejet qui le séparera de sa famille, et qui par la même occasion le propulsera dans les cabarets et autres cérémonies urbaines à la poursuite de son rêve. À Bamako, il va tout d’abord aiguiser son talent dans un groupe dénommé le Rail Band, puis éclore au sein de l’orchestre les Ambassadeurs en 1973 mené par le guitariste Kanté Manfla. Le groupe enregistrera cinq ans plus tard en Côte d’Ivoire son premier succès continental Mandjou, une chanson en hommage à l’épouse du premier président guinéen Sékou Touré. La suite appartient à l’histoire.

Abidjan, New York, Paris et des albums à succès comme son premier en solo Soro paru en 1987, Folon en 1995 et un répertoire de chansons culte qui continuent de côtoyer les sommets des hits dans le monde. L’originalité de sa musique a contribué à propulser la culture malienne au panthéon des musicalités du monde. Suivront Moffou et M’bemba respectivement en 2002 et 2006. Du nom de cette petite flûte stridente très prisé par les peuples du Sahel, Moffou évoque la réappropriation de la tradition sous un prisme contemporain. Une oeuvre pour la postérité sur laquelle figure des classiques comme Moussolou, une véritable aubade à la femme, le délicieux Y Amore avec la diva de la morna Césaria Evora, Here et Katolon où les envolées exaltées de la Kora se révèlent thérapeutique, ainsi que l’électrisant Madan remixé par Martin Solveig un an plus tard.  La différence est une œuvre des plus intimistes qui revient sur le combat de sa vie, sa lutte pour faire accepter cette différence, son albinisme. Il y dépeint son enfance douloureuse marquée par les railleries, les accusations maléfiques dont on l’affuble, de sa victoire sur le sort et de son triomphe sur la société.

©️Bertrand Guay/AFP

Salif Keita est devenu de fait le porte étendard de la lutte contre les discriminations à l’égard des albinos. Un rôle putatif que nul autre n’aurait su porter du fait de son audience et de son aura. La tête de gondole d’une cause avec laquelle il fait corps. Avant-gardiste, le chanteur crée dès 1990 la fondation éponyme Salif Keita dédiée à la protection des personnes atteintes de cette anomalie cutanée ; comme pour acter son engagement et assumer cette légitimité acquise tout au long de ce parcours si inspirant. Un autre blanc son dernier opus sorti en 2018 avec la participation d’Angélique Kidjo et du prince de l’afro trap MHD s’inscrit dans la continuité de son combat. Sensibiliser sur l’albinisme ainsi que les fantasmes et les préjugés abjectes dont ils sont l’objet.

Citoyen malien très engagé politiquement, l’auteur de Tekere n’a pas mâché ses mots à l’encontre de l’ancien colon dans la crise diplomatique entre la France et le Mali. Des propos véhéments accusant Paris de connivence avec la rébellion sécessionniste au nord de son pays. Une sortie médiatique qui lui valut l’anathème d’une certaine presse, certainement plus encline au mutisme complice de ces artistes élitistes adeptes de la langue de bois. Qu’à cela ne tienne, fidèle à sa prérogative sociétale, le griot mandingue a parlé, et le pavé est déjà dans la marre.

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